Etre ou ne pas être orienté

Tout serait tellement plus facile si tout était dessiné à l'avance, si chacun était sûr de ses décisions et savait que ses choix étaient écrits et nécessaires. "C'est ton destin !", parodiait un groupe d'inconnus médiatisés. Enlevons le côté fataliste, l'ascenseur social en panne, le sillon sisyphien qui condamnerait le fils d'ouvrier à ne grimper qu'à hauteur des épaules de son père. Gardons le fil d'Ariane qui ramène Persée vers ce qu'il connaît, écoutons le chant de la Pythie qui confirme au héros la légende qui l'auréolait avant sa naissance.

Si tout était prédestiné, aurions-nous à nous inquiéter pour l'avenir de nos enfants ? Bien sûr, ce futur pourrait être funeste et nous tenterions en vain de les plonger dans le styx en espérant les sauver d'une vie sans gloire ou d'une mort trop puissante. Mais nous n'aurions pas à les voir bafouiller, hésiter, errer, nous implorer de secouer nos relations afin de les aider à trouver leur voie. Ils sauraient ce qu'ils doivent accomplir et nous aurions juste à les embrasser pour leur donner le courage d'assumer leur absence de libre-arbitre.

Je ne souhaite pas un 1984 où l'alpha s'engorge en récitant sa leçon resucée et où l'omega se révolte entre 4 murs qui ne lui délivrent que des loisirs solitaires. Je ne souhaite pas un Oedipe condamné à se creuver les yeux pour ne pas avoir compris qu'il se devait exister pour permettre à Freud de foudroyer les cercles bourgeois trop renfermés. Je veux juste que mon fils cesse de se tourmenter parce que je suis incapable de lui démontrer qu'il est sur terre pour d'autres raisons que mon égoisme besoin de maternité. Tu es là parce que je suis là.

Comment l'enthousiasmer pour la vie, lui donner envie d'avoir envie, comme crie notre Johnny national, sans qu'il ne se réfugie dans d'autre substance que la sueur, qui doit suinter de tous ses pores s'il veut s'accrocher aux rêves qu'il ne se permet plus. Sois fou, mon fils ! Rien n'est écrit, tout est possible ; il préfère taire sa voix que faire sa voie.

Attend t'il d'être appelé ? (Veut-il être au service militaire ?) Espère t'il qu'un archange vienne lui annoncer qu'il est le seul à pouvoir sauver le monde grâce à ses dons de mimétisme : il sait imiter à merveille un paresseux pendu à son canapé. Attend t'il que le fleuve s'écoule et qu'un écueil inébranlable stoppe sa course pour lui permettre de se hisser au-dessus de la mélée et de profiter ainsi du silence des portes qui ne seront jamais ouvertes ? Il te faut choisir mon fils et oublier les déceptions sérinées par ta mère. Tu ne seras pas célèbre mon fils : je voudrais que tu accomplisse ton destin ; je veux que tu sois heureux, même simplement.

En 3ème, n'étant attiré pas rien en particulier, si ce n'est par l'absurdité des combats écrits d'avance des Pokemon, mon fils a rencontré le Conseiller Orientateur Psychologue afin d'être aiguillé sur le difficile croisement des chemins. Il voulait de l'humain, il a dialogué avec le logiciel GPO (Guide pour l'orientation : gourou pour COP qui n'a toujours pas digéré des études mal orientées) qui a souligné ses faiblesses et admis quelques aptitudes. Le COP lui aussi vante la prédestination, puisque quelques croix hésitantes lui ont permis de trancher et de cataloguer mon fils dans quelques professions qu'il approfondira en surfant sur le net, parce que mon gars, excuses-moi, je ne suis là que le jeudi et je dis "suivant".

Mon fils peut donc être : botaniste, géophysicien, éducateur sportif, météorologiste, professeur des écoles, documentaliste, prof EPS, technicien forestier, éducateur jeunes enfants, volcanologue.

Je passerai sur la vocation sportive qui montre qu'un logiciel ne peut trouver que dynamique quelqu'un qui passe son temps à s'exercer sur un clavier. C'est vrai que mon fils apprécie la nature (il entrouvre de temps en temps la fenêtre pour jeter une mouche qu'il vient d'écraser), qu'il varie avec le temps qu'il fait (quand il fait beau, il dit qu'il fait trop chaud pour sortir ; quand il fait froid, il ne dit rien et ne sort pas), qu'il adore enseigner à son jeune frêre des expressions qui choqueront la maîtresse, que sous son apparence de bouc impassible, bout un caractère de cochon intraitable. Il aime classifier, numéroter, mais pas réfléchir et encore moins lire. Il ferait donc un excellent professeur des écoles de maternelle, il saurait ficher le gosse à haut risque et tout faire pour que ce dernier confirme les pronostics de délinquance.

Sa vie, c'est son choix et il s'en mord les doigts.