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je vis, je dis, je ris ...ou pas
25 janvier 2013

Non aux pétitions à la con

Alors que s’agitent les alarmes anti-familles et les crimes anti-riches, alors que mes enfants épuisés réclament une réforme des rythmes saisonniers, n’en pouvant plus de ce soleil qui prolonge ses pauses méridiennes au point de n’apparaître que comme un obscur objet de désir, mon village est secoué par une tragédie signée par Shake Sempire « Otez-les ou la mort des cabines ». Le succès de cette pièce va grandissant, au point que les trois coups ont fini par ébranler ma porte. Toujours avide de culture, même si je préfère que la graine de la discorde pousse loin de mon champ de division, j’ai grandement ouvert, diligemment souri et benoitement écouté un lointain voisin m’arroser de ses doléances.

 

Je profite d’un léger intermède pour signaler l’importance de la mise en scène : vous avez une imprécation à lancer contre un grand méchant mal… afin de mieux interpeler un auditoire, mettre le plus de chance de votre côté pour le faire adhérer à votre cause, et bien lui présenter les néfastes conséquences que vous souhaitez enrayer, greffez vous un moignon mignon enfant qui, les joues rosies par le vent cinglant, n’en paraitra que plus fragile et, si vos compatriotes ne s’empressent pas d’alerter les services sociaux pour traitement inhumain et dégradant, vous pouvez être assurés qu’ils signeront tout ce qui permettra au gamin de rentrer chez lui au chaud.

 

Mon voisin donc, que je n’ai reconnu qu’une fois que mon mari m’a expliqué qu’il était le fils du frère de l’ami de la pharmacienne, se faisait le chevalier au gris bonnet (pour ne pas décrire la couleur de son nez qui dépareillait avec le bleu de ses lèvres….comme quoi, quand on déteste, ce qui nous empêche d’honorer une belle-mère devient un élément de décor primordial permettant de dégager l’accent dramatique de l’enjeu) d’une mission historique. Il souhaitait rejouer l’épisode de David contre Goliath, avec dans le rôle de David : tout le village, secondé par le Conseil Général, un ou deux députés débusqués et trois-quatre radios en mal d’audience et dans le rôle de Goliath : les routiers sont pas sympas. Notre Dom Quichotte souhaitait décrocher, au bas d’une pétition, les signatures de notables personnages, reconnus pour leur discernement, leur souci du bien-être général et leur envie de ne pas retrouver, le lendemain, dans leur boite aux lettres, des courriers anonymes les exposant aux pires représailles, afin que la traversée de notre paisible bourgade soit interdite aux bruyants et polluants camions.

 

Pendant qu’il débite son monologue, de moins en moins assuré, au fur et à mesure qu’il constate que vous ne le félicitez pas de sa bravoure et ne saisissez pas l’épée le stylo pour le joindre dans son combat, je me rappelle les épisodes précédents : il y a trois mois, l’apparition d’un tag verdâtre étalé sur la route, comme un lointain rappel aux mots d’encouragement griffonnés pour saluer les cyclistes du Tour de France, proclamant « Non aux camions » ; il y a quinze jours, un courrier adressé par un gars de la DDT à un conseiller général faisant état qu’un décompte des poids lourds a été effectué et que si leur quota journalier peine à franchir la barre des 30, il est constaté que la vitesse que s’autorise les conducteurs de tous bords dépasse celle préconisée par le code de la route. Et maintenant, mon huberlulu avance ses arguments : H. a interdit le passage aux camions, M. a interdit le passage aux camions et voilà maintenant qu’ils s’engouffrent dans C., inondant la départementale de leur moteur tonitruant, charriant une atmosphère indélicate pour nos oreilles habituées au massacre du coq et putride pour nos narines accoutumées aux fragrances vampiriques du lisier.

 

C’est à mon tour d’intervenir. Ne connaissant pas mon texte, j’improvise : « Mais quelle route alternative proposez-vous à ces chers travailleurs qui garnissent, au dépens de leur quiétude familiale, les rayons des magasins auprès desquels vous êtes heureux de vous approvisionner ? ». Je sens, à ses yeux exorbités, que je n’ai pas récité la partition désirée. Je me rattrape en donnant la parole à mon partenaire qui, j’en suis sure, trouvera les mots adéquats. Mon mari inspire et clame « Il est vrai que notre village est si animé, il me semble même parfois entendre nos morts dansés. ». Je surenchéris : « J’ai l’habitude de me promener de part et part de C. avec mon fils et je croise, en effet, plus de « Bébert » ou « Patoche » clignotants,  que d’âmes qui vivent et lorsque je la parcoure en voiture, je dois plus craindre le vol gracile d’oiselets inconscients que l’enjambée grabataire de vieux calfeutrés devant leur télévision, dont les ondes sonores doivent être bien plus néfastes pour leurs cellules si peu nerveuses, que les grincements de mécaniques fortement huilées. Si le jour, nous entendons parfois des bruits de freinage désespérés ou des sursauts de remorque mal calculés, du fait de l’installation de ralentisseurs sensés ralentir ceux qui ne veulent qu’accélérer, cela ne perturbe point notre sommeil nocturne. Aussi je ne signerai pas la déclaration de mort du peu de trafic que notre village agonisant connait. » Mon mari me soutint dans ce refus, d’autant plus que, comme moi, quotidiennement, il doit accomplir de nombreux kilomètres pour parvenir jusqu’à son lieu de travail et connait le prix de l’essence, la fatigue occasionnée par un long trajet et le souhait d’en abréger les épreuves.

 

Notre homme et son fils décampèrent en colère, admonestant notre défaut d’application du principe démocratique (qui consiste à se taire quand le plus grand nombre de cons pense avoir raison). Nous saluâmes notre tolérance et pensâmes que si ce chevalier, plutôt que de défendre son pré carré où les nuisances sont minimes, nous avait proposé de participer à la croisade pour une RCEA sure, sur laquelle pourraient s’écouler camions et voitures sans craindre pour leur vie, nous aurions alors apposer notre griffe avec fierté et il serait reparti heureux, car soutenu par deux nobles intelligences, clairvoyantes et intransigeantes …(n’empêche que le prochain routier qui me fait des appels de phare, parce qu’il juge que je vais pas assez vite, je lui tweete la honte).

 

Et je préviens mon voisin plus très proche, un danger plus terrifiant le menace….

 

 

mon fils commence la conduite accompagnée…..

 

 

accompagnée par MOI !

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