Poil aux bêtes

Il existe des thèmes saisonniers. L'hiver, c'est la mort des sdf, le printemps, le retour des hirondelles, l'automne, la crise financière et l'été, l'abandon des animaux. Brigitte Bardot en flambeau (si l'homme créa la femme, la femme créa le sac Lancel dont la production exige qu'aucun animal ne subisse un sort qu'il n'aurait pu faire subir à autrui), des gens, sensibles et proches de l'humain, tendent leur coeur et s'affligent de ce que des personnes sans scrupule refourguent leur jouet, dont les piles ont fini par les user, à des refuges débordés ou, pire encore, les lâchent dans la nature, dans l'espoir qu'ils les vengent, en s'attaquant sauvagement à un gendarme privé d'autoroute.

Qu'on les châtie, qu'on les empale, qu'on les fiche, qu'on leur jette l'opprobre, ceux qui, pour ne pas sacrifier leurs vacances, abandonnent leur pauvre mamour à un destin incertain. Oui, un animal coûte cher :

- en vétérinaire : vaccins non remboursés, inefficaces (votre chat, s'il traîne, chasse, flaire le voisinage félin, défend son territoire, fait son boulot de chat en sorte, a de forte chance d'attraper le sida, autrement dit de souffrir d'immunodéficience : le chat qui vous a griffé, mordu, piétiné, assourdi de ses miaulements d'acteur plaintif, n'arrive plus à se défendre contre lui-même et vous offre une mort lente et culpabilisante), stérilisation (qui transforme un joyeux chaton espiègle en gros matou dormeur), scènes de panique et foulure du poignet lorsque votre animal se rend compte de l'endroit où vous l'amenez.

- en nourriture : croquettes junior, croquettes pour appartement, croquettes pour poil reluisant, croquettes pour bonne haleine, croquettes pour voitures solides (avez-vous remarqué comme votre voiture frôle le bitume lorsque vous avez chargé vos cinq sacs de 10 kg hebdomadaires) ; pâtée au boeuf-carotte, pâtée au saumon dans son jus de poireau, pâtée dédaignée pour cause de morceaux trop gras, pâtée vomie sur le fauteuil tout neuf ; restes délicatement mijotés, pâtes collantes  et partagées lors d'un repas frugal, tranche de rôti à l'ail servi dans une écuelle gravée au nom de l'animal.

- en décoration intérieure : papiers peints lacérés, parquets laminés, plantes dévorées, coussins défoncés et une multitude de poils colorés flottant dans une ambiance senteur litière pas changée tous les jours ou humidité canine sortant par tous les pores. Ne parlons pas des habits, invendables ; sauf pour la Bistouri Rouge (oeuvre charitable des chirurgiens esthétiques sans frontière réunis) qui se sert des poils récupérés sur les vêtements pour offrir des sourcils fournis à des félines en chaleur.

- en décoration extérieure : buissons aérés, pelouse cabossée, camouflant de nombreuses surprises malodorantes et attachantes, jouets déchiquetés, plumes d'oiseaux, queues de lézard, estomacs de souris et quelques châtons lorsque vous avez voulu économisé sur les soins vétérinaires.

- en vie sociale : vacances annulées pour cause d'hôtel zoophobe, de pension aux tarifs exorbitants, de voisins inconnus ou avec qui vous êtes en froid parce qu'ils estiment que Zoupette fait trop de bruit lorsqu'elle regarde la télévision, que Bidule, votre teckel, n'a pas le droit d'essuyer ses babiches sur le derrière d'Ulysse, leur fils, qu'Einstein est un chat idiot qui ne sait pas se décrocher de leur jambon cru. A part les propriétaires d'autres chiens, avec qui vous pouvez comparer la vitesse de pointe atteinte par le facteur venu apporter un recommandé, votre cercle d'amis se restreint au fur et à mesure que deviennent de plus en plus nombreuses vos anecdotes impliquant un humain et une vessie incontinente.

Oui, mais un animal vous offre tant en échange, tant d'amour, tant de sujets de discussion et si peu de répartis, tant de caresses, de ronronnements qui vous calment ou vous rappellent de fermer la porte de la chambre la prochaine fois, de coups de tête vous suppliant de lui donner immédiatement à manger sinon il va voir ailleurs si le service est plus rapide, tant de réconfort lorsque le Tour de France est fini, tant de crainte lorsque, trop vieille pour vous déplacer, il commence à vous mordiller les doigts, tant de joie lorsqu'il comprend votre peine, tant de bonheur lorsqu'il vous regarde de ses yeux si bruns, si chaleureux et si faciles à traduire en humain. Avec lui, pas de déception, sauf lorsqu'il mourra ou qu'il vous préférera votre mari parce que, lui au moins, sait où est la bonne place sur le canapé.

Alors n'abandonnez pas votre chat, chien, furet, crocodile, singe, perroquet. Ou alors enterrez-les. Au moins, leurs os pourront resservir à leurs congénères.