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je vis, je dis, je ris ...ou pas
2 février 2013

La violence à l'école : une histoire à raconter et à vivre

Il y a la violence fantasmée et il y a la violence réelle.

Il n'y a pas un jour où ma fille ne me rapporte, du collège, un ou de nouveaux cas de bagarres, d'insultes, d'humilations.

Je relativise tout de suite : nous sommes dans un petit collège de province, où ne sévissent qu'une 400aine de gosses, donc pas d'armes contondantes, de verlans aux accents ghettoisants, de patrouilles de flics lynchées, juste une aura de trafics de drogues, de familles monoparentales, de misères sociales et d'impuissance scolaire.

Parfois la violence émane des professeurs : un contrôle de 6 pages en anglais, un zéro pointé parce que la copine ne lui a pas fourni les cours à rattraper, un refus de faire la grève.

Parfois le CPE se conduit comme un tortionnaire : il crie quand on traîne alors qu'on devrait être en cours, il crie quand on court dans les couloirs, il crie quand on a oublié de montrer un mot aux parents,il crie quand les parents écrivent qu'ils refusent de signer un mot qu'ils jugent immérité.(avec ma fille, on imagine les raisons de sa colère permanente : il s'est disputé avec sa femme, il a été recalé à son concours d'astronaute, il doit manger à la cantine tous les jours, il est complétement dépassé...).

Mais le plus souvent, la violence provient des élèves eux-mêmes.

Cela commence dans le bus, où la chauffeuse subit des remarques acerbes, des chamailleries incessantes, des incivilités qu'elle ne sait contrer. Alors ma fille, chevaleresque, de sa grosse voix de stentor, qui contraste avec sa silhouette gracile, oblige les désobligeants à s'excuser ou du moins à se taire.

A côté, elle me raconte les échanges toujours loufoques et bruyants qu'elle entretient avec sa camarade de siège et, une mère moins perspicace pourrait y déceler une faille spatio-mensongère, si elle ne savait pas que sa fille s'amuse, alors que les autres s'amusent aux dépens des autres.

Cela continue à la descente du bus, où les enfants stationnent en attendant....la sonnerie, la dernière minute, le couperet du bourreau, les cris hystériques du CPE qui les exhortent à s'engouffrer dans le palais du supplice.

Et là, elle me rapporte que deux filles s'amusent à se taper dessus ; elle ose à peine m'énoncer, comme préambule à cette violence idiote, le fait que ces filles appartiennent à la communauté qu'on souhaite toujours près de la déchetterie, ou loin de ses poulets, afin qu'elle ne se mêle point avec les odeurs corporelles des initiés à la beauté du confort perfectible, car elle sait que je vais reprendre son terme "manouche" pour exiger d'elle plus de respect : deux filles se battent suffit à son exposé. (Etant membre de ce genre dont il est actuel de nier l'origine pour n'en faire qu'un apprentissage, je sais, de par mon expérience professionnelle, les éclairs que peuvent engendrer un cercle composé uniquement de femelles prêtes à fêter la chandeleur à l'aide de touffes de cheveux ingénieusement et insidieusement prélevés. Elles sucrent, elles écrément et elles savourent.)

Et là, l'horreur s'installe. Des hurlements fusent, une fille est à terre, l'autre pleure en lui demandant pardon, pardon, pardon... Du sang, l'alarme, les pompiers, l'hôpital. Le verdict de ma fille tombe : l'oeil a éclaté sous l'impact d'une pierre afutée. Je suis catastrophée, choquée, écoeurée. J'imagine la vie future de la gamine, la rassure à distance, lui dit que tout n'est pas fini, qu'elle va revenir et trouver sa place malgré son oeil de verre...

Mais cette journée n'est pas rassasiée de violence. Plus tard, deux jumelles, qui se vengent d'avoir été de vilains canards en primaire en profitant de leurs nouvelles courbes pour négliger leurs espérances scolaires, prennent à partie une troisième. Celle-ci se défend, tellement qu'elle frappe violemment une vitre qui, sous le choc, se fêle. Une surveillante intervient (peut être milite t'elle pour la tolèrance vis-à-vis des carreaux qui ne méritent pas d'être mis sous la brèche) et rédige un compte-rendu d'accident contre les trois protagonistes qui seront exclues pour la journée : ce qui permettra aux jumelles de tester leur nouveau sex-appeal sur de braves adultes à la recherche d'un emploi pour leur virilité.

Mais ce n'est pas fini. In extrémis, deux cousins parviennent à relever le niveau et s'écharpent, énervés par le froid, l'ennui ou l'envie d'avoir un sens où frapper. D'autres les regardent, encouragent, attendent que quelqu'un intervienne ou filment la scène pour la poster sur twitter. Ouf, la cloche sonne et la violence peut aller s'exprimer hors de l'enceinte scolaire, loin des yeux de ma fille qui va hurler à son frêre d'arrêter de la faire chier pendant qu'elle me rapporte tous ces faits avérés.

Le lendemain, j'en parle aux collègues, rouspète contre les profs qui revendiquent des hausses salariales alors que leurs élèves sont paumés et ne savent répondre aux contraintes de la société que par une violence exacerbée. Qu'ils réclament plus de moyens, le retour du redoublement comme moyen de pression contre des gosses qui ne respectent plus rien, si ce n'est celui qui a la plus grosse vidéo, le droit de s'imposer face au manque de volonté des parents qui baissent les bras parce que soumis aux dictats du chômage, de la précarité et de l'isolement, qu'ils réclament de les avoir plus longtemps pour les préserver d'un milieu délétère où ils n'apprennent qu'à poucer, mater, rêver d'être célèbres par le pouvoir du saint-internet, qu'ils revendiquent le droit de bénéficier d'une meilleure cantine, pour que les gamins, repus de sel et de saveurs, franchissent le seuil du collège avec appétance. Bref, je m'insurge toute seule, mes collègues ayant cessé depuis longtemps de m'écouter lorsque j'échauffe à moins de deux mètres de leurs oreilles... 

Deux jours plus tard, ma fille m'annonce, dépitée, qu'en fait, la fille ne s'est pas creuvé l'oeil, juste bien éraflée la paupière inférieure, que la vitre a été immédiatement remplacée et que les cousins ont été invités à l'anniversaire de Sophia...

Bon, comme dit le théatreux, tout est bien qui finit bien. La violence a encore de bons tours à nous jouer.

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