Dans un monde rempli, couvert, envahi, saturé de technologie, il est tellement facile de se sentir dépassé. Le four, le lave linge fourmillent de boutons et je ne sais utiliser qu'un seul programme : celui qui cuit ou qui lave. Le téléphone n'est qu'un vecteur d'opportunisme, internet la possibilité d'une illusion, la console l'autre jeu solitaire qui rend sourd et je me réfugie dans les livres. (Hier, fâchée que mon fils ne lâche pas sa Ds, je la lui confisque, appuie sur le bouton power et me retrouve face à une photo de mon visage figé dans la consternation : la seule et vraie réalité : dépassée ou pas, tu t'arranges pas en vieillissant...)

Dépassée ou pas, je me rends bien compte que l'éducation de mes enfants est imprégnée de lacunes (peut-on porter l'empreinte de quelque chose qui n'existe pas, certainement mon enfance a bien été marquée par l'absence paternelle) : l'histoire n'est plus qu'une matière secondaire, celle qui nous baratinait de dates, n'est plus qu'une succession d'événements qui ne sont porteurs que d'un seul questionnement : comment faisaient-ils avant ? ... Il parait que le disque vinyl redevient tendance : c'est le même phénomène qui sous-tend le succès des stages survival : peut-on survivre à tout ?

Dois-je mettre encore un tiret entre sous et tend. L'Académie, qui avait pour objectif d'étouffer dans leurs ver(t)s les prétentions littéraires, ne sert plus que l'asservissement à la simplification. Hôpital pourrait s'écrire sans ^ ; Hollande a bien perdu ses ailes.

La technologie, et l'absence de repères, sont-elles sources de violence. Plus le monde s'informatise, plus le vide se médiatise, plus mon fils joue à Minecraft et autres plomberies, plus il apprécie la guerre. A 9 ans, il posséde un vocabulaire sexuel limité (et très répétitif), mais étoffe de jour en jour la liste des armes, plus ou moins à destruction d'humanité (sulfateuses, mitraillettes, kalachnikofs, etc ) avec lesquelles il voudrait jouer... Dois-je m'inquiéter qu'il s'enfuit en Syrie pour aider je ne sais plus quel camp ami à détruire je ne sais plus quel camp ami (la politique a ceci de bien, c'est que si tu ne cherches pas, tu as toujours un prétexte pour faire la guerre à quelqu'un à qui tu as fourni des armes) ? Ou dois-je espérer que d'ici qu'il obtienne sa majorité, les syriens seront tous réfugiés, ailleurs que chez nous pour pas nous piquer notre chomage ?

Un soir, je vais le chercher à la garderie. J'admire le dessin qu'a fait une petite fille : une princesse, un château et quelques détails qui m'échappent (la petite fille n'a que 6 ans et moi, aucune affinité avec l'art contemporain). Je la félicite, même si elle reproduit des stéréotypes qui feront que plus tard elle sera certainement déçue de n'être que DRH d'une firme internationale côtée au CAC Tus (qui se contente de prendre les mêmes et de recommencer), alors qu'elle aurait pu être bergère plasticienne à la valse à mi-temps. Et je jette un coup d'oeil sur le dessin de mon fils, encore attendrie par cette scène chevaleresque.

Et je tombe sur des corps tronqués, des monstres carabinés et pas une goutte de sang comme il me le fait remarquer, vu que c'est pour un jeu qu'il invente pour contenter ses copains qui, comme lui, ont une prédilection pour le cru dans toutes ses acceptions (j'essaye de relever le niveau pour atteindre directement le boss). Je lui proclame mon incompréhension : je ne pense pas le laisser regarder des films violents...si, me répond t'il, Bugs Bunny affronte sans arrêt une sorte de cochon mal embouché agrippé à un gros fusil de chasse ; je ne pense pas encourager les pensées meurtrières...si, me répond t'il quand je le regarde alors qu'il est l'heure d'aller se coucher. Je lui fait part de ma déception : pourquoi moi, je n'ai aps le droit à de jolis dessins tout mignons de princesse en fleurs et de princes courageux. Il me répond : laisse moi vivre mes goûts (variante de son frère qui me répétait : laisse moi vivre, alors qu'aujourd'hui, il s'enferme dans sa chambre en attendant que je lui choisisse la filière post-bac qu'il pourrait éventuellement suivre, sans se faire repérer évidemment). Quelques jours après, je découvre dans le cartable de mon fils, un dessin représentant trois pouff.. pardon, jeunes filles, bariolées de rose, souriant bêt...pardon candidement devant ma face d'ahurie (non immortalisée cette fois par mon incompétence technologique). C'est toi qui as dessiné ça ? Ben oui, c'est pour te faire plaisir...Heu, il est où déjà ton dessin hyper-réaliste, où l'on ressentait bien la souffrance des mutilés face à l'horreur de la dépravation guerrière ?...

La preuve cependant qu'il ne faut pas trop sécuriser les gens. Depuis quelques jours, la ville voisine nous accueille avec des panneaux annonçant qu'elle est sous surveillance vidéo. L'école nous reçoit avec un super affichage nous vantant son placement sous régime vigipirate : toute intrusion sera impossible si le méchant loup n'appuie pas sur la chevillette qui cherra. Comme je travaille avec un membre du conseil municipal, je lui demande se ce n'est pas disproportionné pour une petite ville de même pas 7 000 habitants, qui se débinent faute de travail ; je lui raconte que j'ai pu entrer dans le lycée, où étudie ma fille, en voiture sans que personne ne vérifie mon coffre, ni ne tombe sur le dessin incriminant de mon fils. Résultat de cette opération sécurité : des parents paniqués qui se renseignent pour inscrire leur enfant ailleurs (enfin, moi en tout cas) et une recrudescence de la délinquance : même la cantine scolaire s'est fait vandalisée, les congélateurs ont été vidés de toute substance, comme la politique municipale.

La technologie, c'est peut être pratique, mais ça permet surtout à l'ignorance de se répandre.

L'inconformatique

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