Pourquoi le vieux a raison de mourir

Il n'y a pas que des désavantages à être vieux. Votre mort est saluée et vos proches peuvent juste avoir le regret de ne pas vous avoir connu assez. Alors qu'essayez donc de mourir à 40 ans et vous verrez si vous n'allez pas créer un choc chez tous ceux qui se sentent trop jeunes pour quitter ce monde. Après vous pouvez discuter s'il vous faut mieux choisir de mourir par crise cardiaque subite ou d'un cancer long et douloureux, pour susciter le moins de compassion possible et permettre à vos proches de continuer le show sans être trop marqués par votre décès. Vous pouvez également débattre si c'est mieux que vous n'ayez laissé aucun descendant qui ne souffriront ainsi pas démesurément de leur statut d'orphelin ou que votre épouse ait encore les marmots pour se raccrocher à l'existence.

Mais il n'empêche que mourir jeune heurte, révolte, indigne (sans que personne ne songe à écrire un livre pour inciter le peuple à s'insurger contre la fatalité de notre condition humaine et à voter à gauche parce que la mort n'épargne personne, même si vous avez mis des millions de côté pour vos vieux jours qui n'arriveront jamais). Mourir vieux ne fera réagir que si 1) cela fait 15 jours que vous moisissez dans votre appartement solitaire, servant juste d'accompagnement à des chats affamés ; 2) avant vous avez mis le feu à la chambre de la maison de retraite où vous végétez, entrainant la mort d'une dizaine d'autres pensionnaires ; 3) vous avez modifié votre testament et légué votre fortune à l'aide soignante qui a su trouver les gestes pour vous soulager de votre impuissance face au destin implacable ;4) vous étiez un artiste oublié et les médias, attrapés par la nostalgie vendeuse, évoquent avec forces adjectifs flagorneurs votre carrière exemplaire, zappant sur le fait que vous avez toujours voté à l'extrême droite et vandalisé les chambres d'hôtel, pour ne garder que votre doux sourire et de vieilles chansons inédites qui vont se monnayer à prix d'or.

Vous rendez vous compte, vous, les personnes âgées, seniors, quatrième âge et autres recordwomen de l'extrême siècle, de la chance que vous avez. Au lieu de vous plaindre en autopsiant vos miséres, détaillant votre ulcère gastrique en plein repas de famille, gémissant sur vos jambes variciques qui ne peuvent même plus vous porter jusqu'aux toilettes, vous obligeant à goutter tout habillés, maugréant que votre mari défunt ne soit toujours pas rentré du bistrot, traitant d'incapable le médecin qui ne vous prescrit pas plus de 5 médicaments différents, refusant de garder votre petit-fils parce que c'est le jour de votre mise en pli hebdomadaire, crachant sur l'infirmière votre haine des fonctionnaires trop fainéants pour travailler plus. Satisfaisez vous de chaque minute qui vous sépare de la mort royale que chacun va vous envier. Même si celle-ci survient dans la souffrance ou la démence, chacun soufflera d'aise devant ce qui apparaît comme un soulagement dans le repos éternel.

Chaque ride gagnée, chaque bougie grapillée est une récompense qui vous vaudra de l'admiration et des condoléances heureuses. Pensez à tous vos arrière petits enfants, arrière petits neveux qui seront ravis d'avoir connu un ancètre et le clameront à leurs copains : "tu t'en rends compte, mon grand père il est mort plus vieux que Gandhi !". Pensez à tous vos amis qui sont morts avant vous et qui ainsi n'ont pas eu à vous pleurer. Bien sûr, pour que votre mort soit exemplaire, vous aurez pensé à régler toutes les démarches successoriales de votre vivant afin que votre longétivité ne soit pas synonyme d'impatience. Avoir une pension suffisante pour couvrir le gîte et et le couvert est un plus également. Mais sachez aussi profiter de votre décrépitude pour être un fardeau, votre mort n'en sera que plus appréciée.

Alors les vieux, continuez à vieillir pour que, à la fin de la projection de votre existence, le spectateur est l'impression d'un dénouement  heureux.

Les jeunes, si vous devez mourir, faites en sorte que cela soit sous les coups d'un policier, la colère l'emportera sur la tristesse.