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je vis, je dis, je ris ...ou pas
8 mars 2013

La paranoïa du bon manger

Manger fait peur.

Quand on repense à Molière qui déclamait "Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger", on se rappelle qu'à son époque, manger était surtout une lutte pour survivre. De nos jours, alors que les victuailles abondent dans les rayons et que les étiquettes se battent pour nous faire croire qu'elles sont des promotions, manger devient de la roulette russe.

En France, encore, nous avons les sacro-saints contrôles sanitaires qui permettent de s'assurer que ceux qui ramassent, malaxent, emballent (je n'ose dire cuisinent puisqu'il semblerait que la plupart des plats faits comme à la maison ne soient pas concoctés avec amour) séparent bien les préparations chaudes et froides, nettoient bien leurs ustensiles après utilisation, se lavent bien les mains après avoir été aux toilettes ;

qu'ils appliquent bien la fameuse méthode HACCP  : méthode d'analyse des risques et maîtrise des points critiques pour assurer l'hygiène et la sécurité des aliments, parce qu'un aliment affronte des dangers tout au long de sa courte carrière de sa conception jusqu'à sa destruction et l'homme doit veiller à ce qu'il parvienne dans l'assiette du consommateur en présentant le meilleur aspect possible, en paraissant sain et profitable à tous ceux qui le suivent à la chaîne. Pour cela, il faut parfois le booster à l'aide de quelques recettes modernes qui sont bien accueillies par les officines officielles du moment que, lorsque leur nocivité sera attestée, quelques démissions suffisent à camoufler les énormes gains ainsi réalisés.

Grâce à ces contrôles, nous sommes en situation de supériorité par rapport à la Chine (une supériorité non rentable économiquement), où le lait pour bébé lutte contre la surpopulation, où le mouton est du canard farci au nitrite de sodium, où le cochon peut servir de spot pour une soirée disco, où le riz joue du métal et où les huiles fréquentent les égoûts .

Seigneur, ce n'est que quelques chevaux ! (des chevaux, des chevaux, oui mais des roumains, voire pire tsiganes. fPour les expulser cela, faudra de la matière molle !). Si nous prisons celui qui s'ébroue sur la plage, faisant rouler ses muscles au gré de sa force sauvage, sa crinière, souple et indomptée, flamboyant sous les effets satinés dun superbe coucher de soleil, magnifique tableau d'au moins 1 000 pièces trônant dans chaque foyer qui se respecte, nous n'aimons point celui qui se masque sous une fausse identité, sur des gondoles mal éclairées par des néons défaillants. Nous sommes un pays riche qui pouvons nous payer le luxe d'avoir un animal sacré, que même les pauvres dédaignent de peur....de se transformer en étalon ? de tomber sur un hongre ? de finir sur la sellette ? d'entamer un régime sans selle ? d'être jugé pas assez à cheval sur le réglement ? de s'estimer trop à labour ? de prendre les morts aux dents ? de craindre de n'avoir aucun royaume pour mériter l'échange ?

Bien sûr, je peux me moquer, moi qui suis semi-végétarienne, mangeant du poisson pour ne pas perdre mes grosses joues animales. Mais quand on pense mercure apprivoisé, nitrates divulgateurs, particules fines qui ne choisissent pas leur point de chute, odeur du fumier auquel je ne suis pas sure que l'agriculteur et sa famille ne participent pas, taille du tracteur proche d'un convoi de cirque domptant tout naturel, il m'arrive de regarder les carottes fluorescentes, les tomates ovoïdes, les laitues immarescibles, les nouilles micro-ondables, d'un oeil dubitatif. Au lieu de m'approvisionner auprès du supermarché de la ville, où les pommes flétries suscitent ma compassion et les poireaux ficelés se suffisent de mes larmes, je pourrais toquer à la grange du paysan voisin qui traîne ses sabots dans des sillons tracés au cordeau, mais sa culture biologique l'oblige à compter un chou comme un chou et à me planter le décor d'une ruine rapide.

J'aimais bien acheter des plats tout machouillés, dont la couverture donne envie et l'ouverture coupe faim. Rapide, facile, cela empêche de réfléchir et offre des surprises : oh, c'est de la Saint-Jacques, ce truc caoutchouteux qui pourrait préfigurer la dissociation du goût et de la beauté dans l'art contemporain ; oh, c'est des épinards, j'ai cru un moment que j'avais retrouvé la moumoute de tonton Albert ; oh, cette sauce est flagellante et pourtant, permet efficacement de noyer ce riz trop coriace ; oh, c'est quand même bon malgré qu'on sait pas ce qu'il y a dedans.

Et puis, en femme avertie par des manchettes dignes d'une alerte enlèvement, je me décide à plonger mes yeux dans la liste des ingrédients, traquant ceux qui pourraient me détraquer : je deviens paranoïaque et accuse le bicarbonate de soude de chercher à me tuer. Je me méfie du "trop" figurant devant le salé, le sucré et le gras, me demandant ce qu'il pèse face à ma fourchette que je lève d'abord en un large signe de croix. Ma bouche me semble un long puits par lequel s'enfilent des armes biochimiques qui me font des gorges chaudes. Je me détoxique au thé vert, jusqu'à ce que j'apprenne que ce dernier est cueilli, les jours de pleine lune, par des enfants que des exploiteurs ligotent la nuit à leur lit pour éviter qu'ils ne se gavent des chenilles qui donnent aux feuilles leur vénérabilité végétale. Aaargh, ma conscience ou ma défense ?

Maintenant, je m'en fiche. Faut-il manger pour mourir ou mourir faute d'avoir manger ? Je prends un Mars et je me marre !

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