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je vis, je dis, je ris ...ou pas
7 mars 2013

Bouche d'or et les trois bébés

"Beaucoup d'hommes naissent aveugles, et ils ne s'en aperçoivent que le jour où une bonne vérité leur crève les yeux". Cocteau, dans la machine infernale. Citation qui n'a pas grand chose à voir avec la suite, si ce n'est qu'il ne faut pas croire qu'on rit tous les jours.

 

Alors que certains s'interrogent sur la traçabilité des enfants, ne se posant pas la question de savoir si un sperme en vaut un autre, je me souviens de mes trois accouchements, soutenue en cela par des vergétures dignes de reposer dans mon pantalon (le Panthéon étant réservé aux figures libres ayant oeuvré pour la France et non à celles imposées par la licence).

Le premier a eu pour principale caractéristique d'être le premier.

J'étais jeune et soucieuse de ne pas gâcher mes études prometteuses par l'arrivée d'un gosse dont la conception avait surpris tout le monde, y compris moi-même (j'étais sure, vu que tout ce que j'avais réalisé jusque là se caractérisait surtout pas l'échec, que la première échographie allait révéler au pire un grand vide, au mieux un ballon dégonflé). J'ai pris le train jusqu'à la fac jusqu'au dernier instant. Heureusement, c'est chez moi que j'ai perdu les eaux et j'ai dû appeler le maître de conférence pour m'excuser de ne pouvoir être présente à notre rendez-vous, parce que j'étais en plein travail.

Je ne m'attendais à rien, je n'ai pas paniqué, même si l'enfant s'annonçait avec plus d'un mois d'avance. J'ai appelé mon père qui m'a conduit à la maternité. Nous étions calmes et devant une infirmière intriguée par ce couple bigarré, mon père a déclaré "je crois que ma fille va accoucher".

Personne n'était pressé, vu que c'était le premier. J'ai été installée dans une chambre, avec pour compagnon un monitoring. Je me suis retrouvée seule quand mon père en a eu assez que je m'emporte contre lui. Et je me suis mise à pousser...

J'ai appuyé sur le bouton d'appel et une sage-femme est enfin arrivée. Elle a été surprise de me trouver si dilatée et nous nous sommes dirigées vers la salle d'accouchement où j'ai donné naissance, après quelques poussées qui m'ont fait surtout craindre le ridicule d'expulser quelque chose de plus nauséabond qu'un gamin hurlant,à un petit garçon couvert de beurre (en jargon scientifique, le vernix caseosa ; mais en pratique, un manteau crémeux guère ragoutant). J'étais arrivée vers 10h00, mon fils est né à 14H35.

Et c'est là que j'ai commencé à m'angoisser. A peine sortie de la maternité, je suis revenue en hurlant que mon petit ne respirait plus, que je ne parvenais pas à le réveiller. J'ai supplié le corps médical de me le rendre en vie, je leur ai tendu mon ange et ce dernier m'a regardé, stoiquement, d'un oeil bleuté, l'autre restant fermé (habitude qu'il a gardé longtemps, ce qui lui a valu le surnom de "na-qu'un-oeil"). J'ai expérimenté avec lui toutes les frayeurs imaginables (et d'autres bien réelles, par exemple lorsqu'il est tombé de la table à langer qui a été punie par un banissement éternel) et l'ai réveillé tant de fois, pour m'assurer qu'il dormait bien, qu'il rattrape maintenant ce retard de sommeil. Il était si calme, si timide, si peureux que je n'étais pas du tout préparée pour la deuxième.

Pour elle, les contractions se sont rapprochées et sont devenues impérieuses au beau milieu de la nuit.

Désireuse de ne pas réveiller son géniteur (qui est sorti de notre vie hélas beaucoup moins vite que ses enfants de mon giron), j'ai attendu, attendu, jusqu'à ce que je sois certaine que si j'attendais plus, j'allais maculer de sang sa précieuse collection de mini-disc. Je l'ai réveillé et ais téléphoné à mes parents pour qu'ils viennent chercher le plus grand. Puis nous sommes allés à l'hôpital situé à même pas un km. Nous nous sommes confrontés à une porte close....

N'ayant jamais encore eu l'heur d'accoucher en pleine nuit, je ne me suis pas rendue compte que tout était prévu (excepté une mère n'ayant jamais songé qu'on pouvait accoucher la nuit) et qu'une sonnette était judicieusement installée là où je ne l'ai jamais vu, afin d'alerter les infirmières de l'annonce imminente avec mari ou non. Affolés, nous nous sommes précipités aux Urgences...désertes.

J'ai erré, couinant derrière mon gros ventre. Soudain, sont apparus deux gars baraqués et décidés qui, lestement, m'ont fait asseoir sur un fauteuil roulant pour me conduire au service approprié. Mon état avancé leur a évité de s'interroger sur la teneur de ma visite.

Arrivée vers le lieu de la délivrance, une vilaine sage-femme m'a ordonné de me lever, refusant que je me conduise en ventripotente. Et j'ai marché...comme un hochet tanguant, sur une musique de gémissements. La méchante me demandait de me presser et moi je crabahutais autour de mon nombril anti-gravitationnel. Et plof, les eaux ont jailli...

Ce qui m'a valu une remontrance parce qu'il allait falloir nettoyé le couloir, maintenant. Je me suis couché sur une litière sans paille, mais sans sourire. Et j'ai donné aussitôt naissance à une petite chose toute douce et toute fripée. Alors que mon fils avait directement été placé sur mon sein, ma fille a été disposée dans une couveuse où j'ai pû l'admirer en m'exclamant "elle n'est pas très jolie, mais bon on l'aimera quand même". Et c'est surtout moi qui allait l'aimer cette petite ninotte qui s'est révélée vive comme du lait bouillissant, n'ayant peur de rien, grimpant, fouillant, chutant, n'hésitant pas à embrasser un inconnu et à le suivre sur un chemin l'écartant du mien, téméraire alors que le premier était si timoré et le troisième si peu dégourdi...

Pour le dernier, j'avais surtout peur de n'avoir pas le temps,

de n'avoir pas le temps entre le moment où les contractions serreraient mon ventre et le moment où je parviendrai jusqu'à la maternité située à plus de vingt kilomètres de notre domicile. Aussi, nous avions décidé que, la période fatidique approchant, j'irais, par sécurité, loger chez mes parents, beaucoup plus proches de l'hôpital.

La nuit du 22 août, j'ai vomi. J'ai réveillé mon père qui, avec la force de l'habitude, savait le chemin à prendre pour me déposer. Une dame bien gentille m'a prise en charge, donné un cachet et m'a proposé de retourner chez moi, car le travail avait à peine commencé. Le coeur lourd et nauséeux, j'ai bien voulu regagner ce foyer où j'étais plus fille que mère. Mon père s'est recouché. J'ai attendu une heure plus décente pour me représenter et les obliger à m'aliter. A huit heures, j'étais devant la sage femme qui a soupiré, a constaté que je n'étais toujours pas prête à m'ouvrir davantage et m'a proposé d'aller me promener.

Il faisait beau et j'ai admiré les va-et-vient des ambulances, souri aux papis apeurés, fait peur aux pigeons chatoyants, espéré que ce gamin qui poussait sur la droite depuis trois mois allait se décider à mieux s'orienter. Je suis rentrée. On m'a offert une petite collation que j'ai aussitôt régurgitée. Je n'avais pas mal, j'attendais.

On hésitait à me renvoyer. Une infirmière s'est décidé à vérifier l'évolution de mes petites affaires : j'étais dilatée à 5 cm. On m'a gentiment conduit, puisque je semblais attacher à eux, jusqu'à la salle d'accouchement où j'ai été perfusée. Tout le monde attendait, quand une mécréante s'est décidée à me percer la poche des eaux.

Et là, la douleur a fusé. J'ai grimacé, soufflé, ahané. Je sentais le petit qui poussait...à droite, toujours à droite. J'était prête à supplier qu'on me fasse une péridurale, je n'ai eu le droit qu'à quelques gouttes de spafon. Alors je me suis raisonnée, j'ai accompagné la douleur pour l'apprivoiser, la dompter, la dominer. Et le gosse s'est déplacé et a bien voulu descendre . J'ai dû rappeler les sages-femmes qui étaient parties causer un peu toilettes et mouvements de grève. Mais le gars se révélait déjà de mauvaise volonté et loin de m'aider à entendre ses hurlements, il croisait les bras. (j'avais enfin mon accouchement douloureux et je pouvais enfin partager avec d'autres mères les affres d'une délivrance mémorable pouvant alimenter sans fin une vie de sacrifices et d'abnégation).

Il a fini par consentir à sortir et s'est reposé sur ma poitrine. Le lendemain, je faisais une crise d'appendicite qui n'a pas été diagnostiquée tout de suite et deux jours après, j'étais opérée d'une péritonite.

Résultat : étant sous morphine, j'ai refusé d'allaiter. En fait, je n'ai allaité que ma fille, l'ainé n'ayant jamais compris comment têter et, si j'ai été mortifiée de le voir se jeter sur le biberon, que les infirmières lui ont tendu, après avoir essayé en vain, pendant trois jours, de le nourrir, je n'ai compris mon bonheur que lorsque j'ai découvert les "joies" de l'allaitement : une douleur utérine transperçante, une fatigue constante, des seins ne m'appartenant plus, une fille, refusant biberon et tétine, jamais rassasiée et que je devais transbahuter la nuit en voiture pour espérer qu'elle s'endorme, un homme ne supportant pas qu'elle crie sans arrêt et me demandant de dormir sur le canapé sinon il menaçait d'aller dans un hôtel (Ce dernier point ne fait pas partie des ressentis éventuels et peut être soigné en ouvrant largement la porte pour être expulsé sans ménagement). Et je m'endormais, exténuée, ma fille au sein, espérant que mon instinct m'empêcherait de la lâcher et en effet, quand je me réveillais, elle n'avait pas bougé, assoupie, la bouche encore quémandeuse.

Je connais la traçabilité de mes enfants : je sais d'où ils viennent et comment ils sont venus au monde. Deux d'entre eux ont un géniteur et un père adoptif. Et je ne sais pas ce qu'ils vont devenir. De la même mère, ils n'ont pas eu le même commencement, ils ne connaitront pas les mêmes expériences, les mêmes souvenirs et ils aiment quand je leur raconte leur enfance parce qu'ils en gardent si peu d'images. C'est par ce que je leur raconte, qu'ils héritent de leurs premiers pas, de leurs premiers mots et de leurs premières bosses. Ensuite, c'est ensemble que nous construisons des conflits, des liesses, des ennuis, des séparations et des retrouvailles. Après, c'est à eux de se débrouiller et de tracer la façon dont ils voudront manger la vie.

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