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je vis, je dis, je ris ...ou pas
15 mars 2013

La femme et le balai : un conte sans moral

Peut-on s’appuyer sur les contes pour rêver debout ? Un conte, qui me revient sans cesse, alors que je malmène mon balai au quatre coins sombres de la cuisine, est celui que j’ai lu, je ne sais où, écrit par je ne sais qui, narrant l’histoire d’un Prince demandant aux femmes d’un village de lui rapporter toute la poussière encombrant leurs chaumières. Et toutes de s’activer, et toutes de lui en amener cérémonieusement des seaux entiers, de se jauger et de se battre afin d’être celle qui parviendra à se distinguer par sa prodigalité moutonnière. Une seule arrive, penaude, vers le Prince et s’excuse mais, malgré son souci de lui complaire, elle ne peut lui déposer qu’une mince offrande : quelques grains échappés à sa dextérité ménagère. Il la remercie et s'exclame qu'il vient de trouver celle qui deviendra son épouse, car elle a su démontrer ainsi ses qualités humaines, digne d’une Madame Propre où le Prince peut se miroiter en saine confiance. Et je me félicite toujours de ne ramasser qu’un petit tas de poussière, ne sachant cependant si cette modestie résulte de ma méticulosité à contourner les obstacles ou d’une propension des saletés à esquiver ma balayette, tel un taureau désireux de se faire admirer par les éventuels visiteurs, ou de l’espoir qu’un jour mon Prince viendra.

 Il est vrai que Blanche neige remue la saleté tant qu’elle vit chez les sept nains, mais une fois parvenue, il est supposé que ses mains, quelque peu altérées par un labeur subalterne, n’eurent plus à pâtir de la corrosivité du liquide vaisselle. Donc la jeune femme choisie pour son hygiène n’eut plus qu’à veiller à la pureté de son anatomie, jusqu’à ce que des grossesses nombreuses obligèrent le prince à ne plus se soucier de l’état de la paillasse où il se réfugiait, pour échapper aux miasmes incessantes dégagées par des fessiers blindés. Alors que moi, mariage ou non, je continue à pester contre le sort qui a voulu que je ne sois pas la plus belle dans ce miroir, mais la poubelle à sortir ce soir.

 Les contes offrent une revanche : la jeune femme raillée pour sa préciosité est récompensée par une union princière. Cendrillon ne fête pas Halloween malgré sa tenue de souillon, la Bête trouve l’amour malgré son opposition à la PETA, le Chaperon rouge mange la galette malgré sa naïveté, Aurore se réveille bien que le temps ne s’arrange pas, Peau d’âne obtient de se comparer au soleil, à la lune, à la nuit bien qu’elle se terre, la Petite sirène gagne le ciel des élus, bien qu’elle ait donné sa voix, Boucle d'or casse la chaise malgré la garantie Ikea, Jack a une faim d'ogre bien que ce soit la fin des haricots, les douze frères se signent si peu bien qu'ils croient aux vertues de l'ortie, le sel coule bien que le moulin n'ait pas la parole, la sorcière tient un blog de recettes bien que Hansel n'ait plus que la peau sur les os, Raiponce pense que son histoire est tirée par les cheveux alors qu'elle se fait coiffer sur le poteau, le génie exauce trois voeux alors qu'Allah d'un, le petit pois n'a plus de ressort alors que la princesse en a plein le dos, le soldat aime la ballerine malgré sa langue de bois, le petit tailleur prend des mouches pour des ogres bien que Facebook n'existe pas encore, le vif rossignol charme l'empereur qui n'est pas nu mais se fait un sang d'encre, Anne ne voit toujours rien venir alors que Barbe Bleu fréquente le sofitel, Delphine et Marinette sont un peu perchées alors que le chat s'en lave les oreilles et Alice est une merveille de Tim Burton bien que Lewis n'y trouve aucune logique.

Les contes ne seraient qu'un exutoire à la violence ambiante : Pinocchio était un garçon perdu, un menteur invétéré, un Gavroche débauché que seul l'amour d'un père modèle Joseph rendra humain. Les orteils et les talons se coupent chez Cendrillon, pour démontrer que quand on veut un rang, on enfile les perles ; le loup meurt noyé à cause de l'astuce d'un petit chevreau, pour prouver que ce n'est pas tout de montrer patte blanche, encore faut-il ne pas rouler dans la farine ; la maison en brique l'emporte sur le souffle du grand méchant carnassier, pour expliquer que l'investissement dans le dur, ce n'est pas du vent ; les 40 voleurs s'enrichissent grâce au sésame, mais finissent Baba, pour protester contre le fait que les céréaliers se fassent dépouillés par les manufactures sucrières ; la petite fille se réchauffe grâce à quelques allumettes, pour illustrer qu'il ne sert à rien de s'immoler si vous n'avez pas une bonne assurance-vie ; le petit bonhomme en pain d'épices se fait dévorer par le renard pour faire comprendre aux indiens que le Gange est pollué ; Pierre ne peut empêcher le canard de se faire manger, ce qui confirme que quand on est un laquais, on doit trimer pire qu'un chinois ; le princesse pleure sa balle d'or et récolte une grenouille, ce qui justifie qu'une mère s'inquiète quand sa fille ramène un boutonneux à scooter ; les enfants suivent le joueur de flûte, ce qui vérifie qu'ils préférent le pipeau ; le chat culotté mange l'ogre transformé en souris, c'est pour témoigner que rien ne sert de frimer, il faut tuer à point ; Nils Holgersson est puni parce qu'il frappe les animaux, ce qui établit que pour voyager loin, rien ne sert de ménager sa monture ; Sinbad échoue 7 fois et finit couvert d'or et de joyaux, c'est pour révéler que si Dieu a créé le monde en 7 jours, c'est pour s'enrichir de ses échecs...

Et je passe mon balai, effaçant les traces de nos agitations, telle une Baba Yaga, mi-femme de ménage, mi-oie sans oeufs d'or, rêvant d'un monde fantastique où les seaux se porteraient tout seul et les hippopotames danseraient en tutu, essayant telle une chèvre de m'échapper de ce monde où la sauvagerie est de l'ordre du banal, mais me contentant de rire jaune aux blagues éculées que mon fils découvre : c'est Toto qui..........

Allez petit Prince, racontes-moi une histoire !

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